Elle l´avait tant désiré. Puis elle l´avait attendu, imaginé. Mais par- dessus tout, elle l´avait aimé dès qu´elle avait su qu´il était là, grandissant en son sein. Quelle joie cela avait été pour son mari et ses filles d´apprendre la venue de ce petit garçon.

 

L infirmière frappa à la porte, puis entra  sans attendre de réponse.  En l´apercevant son cœur se mit à battre si fort qu´elle l´entendit presque. Et pendant qu´on la tenait informée de la situation, dans une autre salle, son ange à peine né, luttait pour vivre. Alors que les paupières de Lucas s´étaient ouvertes pour la première fois sur le monde, par deux fois, son cœur s´ arrêta de battre. Et par deux fois il repartit. Ce n´est qu´après cinq jours sous haute surveillance que sa mère put enfin poser lson regard sur lui.

 

Lucas s´éveilla dans un silence absolu. Aucun son ne lui parvenait. Pourtant il aurait du entendre les voix et l´agitation environnantes, mais rien.  Il resta hermétiquement fermé à l´ univers sonore jusqu´à ses sept mois. Son ouïe se développa tardivement. Il put découvrir toute une dimension inconnue jusqu´ici. Tandis qu´il commençait à percevoir les différentes mélodies autour de lui, lentement un autre sens se volatilisait sans un bruit.

 

Il paraissait grandir et se développer normalement. Curieux et intelligent, il adorait les planètes, la nature et les insectes. Il avait également déjà décidé qu´il serait archéologue, lorsqu´il serait grand. Il faisait la fierté de sa mère. Mais la clarté de son futur déclinait peu à peu. L´Ombre grandissait. Elle allait transformer sa vie et celle de toute sa famille.

 

Les années passaient et son univers s´assombrissait, au fur et à mesure que sa vue s´ évaporait. Il fêtait son huitième anniversaire lorsque la lumière au fond de sa prunelle s´ éteignit définitivement.  Au moment où le regard de tout enfant brille d´enchantement devant les lumières de noël et les beautés du monde, un voile blanc vint se poser sur l´un de ses yeux. Le second n´allait pas tarder à donner des signes de faiblesse, le poussant d´avantage  vers les ténèbres.

 

Désormais, le soir venu, Katia se cache pour verser des larmes amères. Car son fils aujourd´hui âgé de onze ans lutte pour préserver ce qu´il lui reste de vision. A deux reprises, il fut brusquement plongé dans le noir total. La rétine de l´œil sauf est si fragile qu´elle se rompt seule. Après deux chirurgies réparatrices, il vit dans l´angoisse de rejoindre subitement  l´ Ombre qui patiente. Il l´avoue à sa maman comme un secret, mais ne se lamente jamais.

 

Malheureusement il n´a  d´autre choix que d´accepter son sort avec courage. Il n´a pas encore atteint l´âge où les vents de la puberté soufflent sur l´esprit et éveille la conscience cuisante de l´injustice.  Il a engagé son combat contre la cécité très tôt et sa vie est de moins en moins « normale ». Il doit éviter tout choc, alors plus de sport, plus de jeu avec les enfants de son âge. Et il va probablement devoir rejoindre un collège spécialisé très prochainement.

 

Katia m´a contacté cette semaine et m´a demandé d´écrire quelque chose sur son fils. Comme elle, d´autres parents sont entrés en contact avec moi pour me confier leur histoire et celle de leur enfant. Je m´excuse de ne pas avoir pu parler de chacun d´entre eux, mais je pense sincèrement à eux et à leur famille.

 

Tous me confient se coucher la peur au ventre, car ils redoutent le moment où leur enfant fermera à jamais les yeux sur la lueur de ce monde.  Ils appréhendent l´avenir. Comment faire, pour protéger leur enfant lorsque la médecine elle- même est impuissante ? Ils calment les angoisses de leur petit comme ils peuvent, mais qui va les apaiser eux ? Les rassurer ?

 

Cela provoque une douleur viscérale irradiant si fortement, qu´elle est presque palpable. Il émane de ces mères, de ces pères, une peine si âpre et intense, qu´elle vous frappe en pleine figure, vous suffoque, vous bouleverse. Je suis personnellement incapable de rester imperméable à la souffrance qu´ils viennent me conter.

 

Se débattant quotidiennement dans l`anxiété, ils empoignent leur existence au jour le jour. Certains d´entre eux ont abandonné tout projet.  Comment dans ces conditions profiter pleinement des beaux moments qui nous sont accordés ? Comment même y prêter la moindre attention ? La maladie prend tellement de place dans leur existence parfois, qu´ ils finissent par s´oublier.

 

Mais faut-il vraiment arrêter de vivre ? Ou faut-il continuer et apprendre à son enfant que le bonheur est accessible malgré tout ? Je crois qu´il est nécessaire de trouver une bonne raison de se projeter à nouveau. Envisager le futur, c´est ouvrir la fenêtre à l´espérance. C´est la laisser entrer et vous effleurer, comme les premiers rayons du soleil caressent la peau de votre visage par une douce matinée de juillet. Et c´est cette espérance qui donne le goût de la lutte pour la vie.

 

 

La science avance, mais la machine est bien trop lente. Alors nous essayons de la faire progresser plus vite. Je n´ai aucune solution immédiate à proposer, si ce n´est de fédérer nos forces pour nous battre ensemble.

 

par Sébastien Joachim